INTRODUCTION
Les conflits existent dans tous les
pays et à tous les niveaux de la société, ils découlent de l’organisation
sociale dès que celle-ci se pare d’inégalités. C’est un phénomène humain
complexe qui ne doit pas être confondu avec la violence. Quel que soit le degré
de richesse ou de pauvreté, d’organisation, d’harmonisation, les conflits
n’éclatent pas d’un coup, inévitablement, il y’aura une manifestation de
l’accumulation des mécontentements. Les motifs du conflit peuvent être de
plusieurs ordres, toutefois lorsqu’il existe des groupes ou des individus
différents, la cause ultime du conflit ne réside plus seulement sur la survie
et la croyance, mais le besoin d’être reconnu et de dominer devient la
finalité. Il existe de ce fait des groupes qui veulent imposer leur domination,
et cette vision des choses est poussée par certains penseurs qui affirment que
les individus seraient habités par cette soif inextinguible de s’affirmer, au mépris
même de la vie d’autrui. L’existence des conflits étant une évidence, les
conflits entre groupes sont généralement les plus récurrents dans la société,
d’où l’importance que revêt l’étude des méso conflits. Etant donné leur
complexité, faut-il pour autant s’y résigner, et croire que les méso conflits
sont inséparables de la nature humaine ou de l’être social ? Pourtant de
nombreux conflits, jugés en leur temps insurmontables, se sont réglés. Pour
répondre à cette question, nous présenterons en première partie ce que nous
entendons par le conflit en général et les méso conflits en particulier, et en
deuxième partie leur méthode de résolution tel que présentée par Galtung.
I-CLARIFICATION DES
CONCEPTS
A-LES MESO
CONFLITS
1-DEFINITION ET TYPOLOGIE DES MESO CONFLITS
Les
méso conflits sont des conflits que l’on retrouve au niveau social et qui
opposent les catégories sociales, les groupes d’individus et leurs
contradictions avec d’autres agrégats sociaux[1].
Les méso conflits regroupent les conflits intra groupes et les conflits intergroupes.
Galtung fait une typologie des méso conflits qu’il regroupe en trois catégories
à savoir :
Ø Les méso conflits simples : ce sont des conflits qualifiés de
classiques et dans lesquelles on retrouve deux acteurs avec un même objectif
Exemple : la compagnie sans classe, dans cet exemple il est
question d’une entreprise avec un propriétaire et un ouvrier. Le problème est
celui des misérables conditions de travail
Ø Les méso conflits complexes : ce sont des conflits dans lesquels
on retrouve deux ou plusieurs acteurs avec plusieurs objectifs qui ne sont pas
forcément les mêmes
Exemple : l’école incolore
Le 17 mai 1954, la cour suprême des Etats Unis décidait que la
ségrégation des écoles entre les blancs et les noirs ne serait jamais
justiciable, et elle ordonnait l’intégration des écoles publiques dans le Sud à
un rythme défini. La population fut divisée en trois groupes avec des objectifs
différents :
·
Les Africains américains qui
étaient pour l’intégration
·
Les blancs intégrationnistes qui
étaient pour l’intégration
·
Les blancs ségrégationnistes qui
étaient contre l’intégration
Ø Les méso conflits structurels : il s’agit ici d’un système mis en
place et qui occasionne des inégalités au sein des groupes d’une même société
Exemple : les alternatives politiques
Le gouvernement au pouvoir peut utiliser les ressources de l’Etat pour
acheter des votes .l’opposition
sait cela et organise un coup pour « éradiquer la corruption dans le
pays ». Ils ont aussi le problème de vouloir avoir de meilleurs avantages,
et une légitimation démocratique. L’issue passe par le fait qu’ils se
présentent comme les sauveurs du pays, ceux qui ont vraiment la volonté de tout
nettoyer, et ils commettent les mêmes crimes jusqu’à ce qu’une autre génération
de sauveurs viennent à bout d’eux avec les mêmes légitimations.
2-CAUSES, ENJEUX ET EFFETS DES MESO CONFLITS
Le
conflit suit un processus qui a un début, un parcours et aboutit à un résultat.
Le conflit est généralement représenté par un arbre avec les différentes
parties, les branches représentent les effets, les symptômes du problème, le
tronc c’est l’enjeu primordial, et les racines représentent les causes. Très
souvent, les causes du conflit sont souvent confondues aux effets qui eux sont
visibles. Ce qui est central, c’est l’idée que tout conflit social découle de
l’organisation sociale elle-même dès que
celle-ci se pare d’inégalités de positions. Le conflit social est rarement une
simple réaction mécanique aux plaintes et
aux frustrations, mais ces frustrations entrent dans un système de valeurs qui
les interprètent en retour et les transmutent en idéaux[2].
Les
causes des méso conflits peuvent être regroupées en trois types à savoir les
causes socio-économiques, les causes sociopolitiques et les causes
socioculturelles.
Ø Les causes socio-économiques : l’inadéquation entre la population
et les ressources disponibles peut entrainer une inégalité dans la
redistribution entre groupe d’individus dans la société, et par conséquent le
conflit. D’autre causes telles que l’augmentation des prix pour les individus
dans les marges sociales ; répartition des terres, le chômage, la
dévaluation, la croissance peuvent produire des « oubliés » qui
manifesteront leur mécontentement.
Ø Les causes sociopolitiques : la dictature (sur le genre, sur les
générations, sur la race, sur les classes…), L’illégitimité de l’autorité ou
son inefficacité, lutte pour le partage du pouvoir. L’arène politique est constituée de
plusieurs groupes d’individus différents ayant des objectifs et intérêts identiques ou divergents.
Ø Les causes socioculturelles : la race, la coutume, les croyances,
le genre…, toutes ces causes sont des construits sociaux. Nous entretenons le
plus souvent un langage d’exclusion sociale au travers duquel de nombreuses
caractéristiques sont attribués à des groupes. L’individu est déshumanisé,
ainsi que sa dignité, car il est considéré dans les relations sociales comme le
représentant d’une catégorie sociale, comme un objet. Selon le professeur Charly Gabriel
Mbock, l’ethnicité est l’une des causes les plus probantes des causes socio
culturels des méso conflits, car l’ethnie est une entité assez malléable dont la gestion déterminent les relations
entre groupe d’individus.
Le
pouvoir, la propriété, la justice, l’égalité peuvent être considérée comme les
enjeux majeurs des méso conflits dont les effets sont les suivants : les
génocides, l’exclusion sociale, le tribalisme, la haine, la violence, la lutte
des classes, la discrimination, la grève, le racisme…
B-EXEMPLE DE
MESO CONFLIT : CAS DU CAMEROUN
L’Afrique
en général et le Cameroun en particulier
représentent le prototype même de la typologie des conflits définis par Galtung
et Bercovitch. Les vingt types de conflits identifiés au Cameroun par Charly
Gabriel Mbock constituent en fait les différentes natures de méso conflits qui
opposent les groupes de population camerounaise entre elles[3].
Il s’agit :
·
Des conflits identitaires[4]
et économiques (Nyokon-Bamiléké à Makénéné, Sawa-autres à Douala)
·
Les conflits ethno fonciers(Bassa-Eton, Bamiléké-Bulu à
Sangmelima et Ebolowa, les Anglo/ Bami-les Betis au centre)
·
Les conflits ethno politiques qui opposent
les 1+7 groupes stratégiques et conflictuels identifiés par Tagou[5],
et qui se battent pour la mobilisation ou la prise du contrôle du pouvoir
politique au Cameroun, il s’agit des Pahouin[6]du
Centre, du Sud et de l’Est, des Bamilékés(connus aussi sous l’appellation de
Grassfield) de l’Ouest, des Fulbés ou Haoussa(nordistes) de l’Adamaoua, du Nord
et de l’Extrême Nord, des Douala(Sawa) du Littoral, des Bassa du Littoral et du
Centre, des Bamoun à l’Ouest, des Kirdi dans l’Extrême Nord, des Anglophones(
qui représentent le 1 de la formule 1+7) du Nord-Ouest et Sud-Ouest. Les
alliances se font et se défont entre les 8 groupes sous fond de clientélisme
politique qui lie les périphéries (groupes conflictuels) et le centre (groupes
stratégiques).
Les méso confits s’articulent également en terme de méga conflits
c'est-à-dire conflits de civilisation et de région. Tel est le cas avec les
Sudistes qui entretiennent un climat politique de suspicion et de méfiance
vis-à-vis des Nordistes qui n’ont jamais pardonnés aux premiers ce qui s’est
passé entre 1982 et 1984 et ambitionnent de reprendre le pouvoir politique. Ce
conflit politique latent entre les Nordistes et les Sudistes se manifeste dans
certains milieux au Cameroun en conflit entre les musulmans du Nord et les
chrétiens du Sud.
II- GESTIONS DES MESO CONFLITS
A-TRANSCENDANCE ET
TRANSFORMATION DES CONFLITS
1-TRANSCENDANCE DES CONFLITS
Transcender un conflit signifie
transformer un conflit afin que ce qui semblait incompatible soit redéfini en
une nouvelle situation plus propice à la résolution du conflit. C’est ainsi que
pour le Pr Johan Galtung « c’est exactement en combinant dans la capacité
de ressembler toute la sagesse du monde que la véritable transcendance se
trouve ». Les principes qui forgent la méthode TRANSCEND selon Johan
GALTUNG sont les suivants :
·
La transformation du conflit qui
consiste à désamorcer les conflits ;
·
Construire la paix, c’est-à-dire
travailler contre la polarisation, les attitudes et les comportements
déshumanisants
·
Maintien de la paix, il s’agit ici
de contenir la violence par les méthodes non-violentes ;
·
La réconciliation, à ce stade on
guérit la violence et met un terme au cercle vicieux de « la violence qui
nourrit la violence »
La théorie générale de la
transformation du conflit offre deux autres issues : la transcendance
négative et la transcendance positive.
On entend par transcendance
négative « ni l’un ni l’autre » celle qui implique une autre chose
c’est-à-dire qu’elle peut être la sécularité qui chasse les conflits plus amers
entre les catholiques et les protestants. Cette transcendance cherche d’autres
alternatives, c’est le cas par exemple de l’ECOLE
INCOLORE, illustrée dans la ville de
Charlottesville en Virginie en 1958
qui opposait et divisait d’un côté les Africains Américains
intégrationnistes ; les Blancs intégrationnistes ; et les Blancs
ségrégationnistes. Ce qu’il faut souligner dans ce foisonnement d’idées c’est
le refus pour les Blancs ségrégationnistes de laisser leurs enfants dans les
mêmes écoles publiques avec ceux des enfants Noirs Américains. Les
ségrégationnistes étaient ceux-là qui ont inventé une transcendance, qui
d’ailleurs était non-violente : ils ont ouvert des écoles privées au lieu
d’exposer leurs enfants au « mélange » dans les écoles publiques.
Cette transcendance est négative dans le sens où la solution d’une école privée
ne serait pas un idéal dans une ville où les couleurs, les idées doivent se
côtoyer au quotidien.
De l’autre côté, la transcendance
positive est celle qui réussit à réunir les positions extrêmes des parties en
conflit autour des positions communes partagées par les deux parties, ou encore
cherche dans chacune des positions défendues ce qu’il y a de positif pour faire
partager les protagonistes. La
transcendance positive prône le dialogue basé sur le respect mutuel et la curiosité.
Il ne s’agit pas d’un débat, une sorte de stratégie guerrière faisant appel à
des armes verbales dans le but de montrer que la partie adverse est
mauvaise/fausse/horrible/profane. C’est une étape majeure dans la société
multiculturelle dans laquelle les différents acteurs se considèrent comme
sources mutuelles d’enrichissement, mais plutôt une coexistence pacifique
faisant clairement un bond en avant.
·
Exemple : La compagnie sans classe, la scène est
un conflit classique : la lutte des classes. Il s’agit d’une petite
entreprise quioppose un propriétaire et un ouvrier. Les moyens de production
sont détenus par le propriétaire, et l’ouvrier est payé à partir du revenu issu
de la vente des produits. Ici, le problème est celui des misérables conditions
de travail. Dans le cas de ce conflit, la transcendance peut être négative dans
la mesure où le propriétaire ne décide pas d’améliorer les conditions de
travail de l’ouvrier et conduire à la fermeture
de l’entreprise.Mais cette divergence s’amenuiserait si les deux
décidaient de se mettre au même niveau pour transformer l’entreprise en une
coopérative dont ils sont les deux membres. Et chacun devra à son niveau
apprendre le boulot de l’autre, se mettre dans la peau de l’autre pour vivre
les réalités de l’autre, on parle alors à ce niveau d’une transcendance
positive.
·
L’école et les écoles alternatives :
Situation de deux catégories d’élèves, l’élève A agressif et l’élève B
studieux, le médiateur essaye de faire un
compromis dans le but de transcender le conflit entre ces deux catégories
d’élève. Il y a transcendance positive dans la mesure où la solution serait la
construction de plusieurs types d’écoles dans le même bâtiment scolaire et puis
les laisser fleurir ensemble, choisir leur salle de classe, et décider s’ils
veulent rester ou continuer la recherche. Par la suite essayer d’introduire
progressivement la méthode universitaire.
2-TRANSFORMATION
Le terme de « transformation des
conflits », forgé entre autres par John Lederach, exprime en détail ce que
cherche à mettre en place de nouvelles relations et des structures sociales
équitables dans des conflits. Le concept de transformation des conflits englobe
les notions d’escalade, de plaidoyer, de travail en faveur des droits de
l’homme, mais aussi de réconciliation et de développement durable.
Transformation signifie changement et met en évidence qu’il s’agit des
processus et non des solutions rapides. La transformation est l’étape la plus
approfondie de la gestion du conflit. Elle part de l’idée que le conflit est
lié à la structure sociale (loi, coutumes, préjugés) et la gestion durable
nécessite un changement de ces lois. La transformation des conflits vise à
rétablir sur la base de la situation créée par le conflit, des relations
acceptables et acceptées par les parties au conflit de façon à faire
redescendre l’intensité du conflit en dessous du seuil de violence. La
« transformation des conflits » est fondée qui, sans nier l’existence
du conflit, acceptent de régler leurs différends par d’autres moyens que la
violence aigue. C’est dans ce sillage qu’on distinguera plusieurs
transformations des conflits tels que :
Ø La transformation personnelle : En tant que médiateur, il faut accepter d’abord soi-même la
transformation. Ce changement doit s’opérer d’abord au niveau personnel :
·
Au niveau émotionnel :
commencer par la maitrise de soi
·
Au niveau perceptuel :
prendre le temps de comprendre ce que veut dire l’autre avant de le voir tel
que je le perçois. Certains ont tendance à voir les choses de façon négative.
Il faut accepter l’autre, s’ouvrir aux
autres
·
Au niveau physique : la façon
de s’habiller, de parler, la simplicité des gestes doivent être de nature à
rassurer l’autre.
Ø La transformation
culturelle : il faut permettre la transformation
des règles, et coutumes qui oppriment et qui ne valorisent pas les autres.
Ø La transformation
structurelle : nous devons accepter que les
relations jouent un rôle important dans la vie. Notre façon d’aborder et de
traiter les gens peut en faire des amis ou des ennemis. La communication est
très importante dans la transformation rationnelle.
B-CAS
PRATIQUE : APPROCHE DE RESOLUTION DE CONFLITS A L’AFRICAINE
1- LA PALABRE
Etymologiquement
le mot palabre vient de l’espagnol « palabra » et a le sens de
parole, de discussion, de conversation longue et oiseuse. Cette conception
dévalorisante émane du contexte colonial où la palabre était une sorte de
concertation où siégeaient le commandant européen et le chef noir. En vérité le
concept de palabre a une autre signification dans les sociétés africaines
traditionnelles, où différents termes, plus adéquat sont utilisés pour la
désigner. Les Bamilékés à ce propos parleront de « Tsang » dont le
but est d’apaiser les esprits. En tant que cadre de l’organisation de débats
contradictoires, d’expressions d’avis, de conseils, de déploiement de
mécanismes divers de dissuasion et d’arbitrage, la palabre tout au long des
siècles est apparue comme le cadre idoine de résolution des conflits en Afrique
noire. Incontestablement, elle constitue une donnée fondamentale des sociétés
africaines et l’expression la plus évidente de la vitalité d’une culture de
paix. Partout en Afrique on retrouve à quelque nuance près, la même conception
de la palabre. Elle est considérée comme
un phénomène total dans lequel s’imbrique la sacralité, l’autorité et le
savoir. Chez les bétis du Sud Cameroun par exemple, pas moins de six conditions
et modalités constituent un préalable à toute palabre : où, quand, qui,
quoi, pourquoi, comment ? la palabre se tient toujours en un lieu chargé
de symboles : sous un arbre, près d’une grotte, sur un promontoire ou dans
une case édifiée spécialement à cet effet. Parfois, les jeunes enfants et les
femmes réputées bavardes en sont exclus pour des raisons de confidentialité,
une hiérarchie et un protocole sont observés dans l’intervention des principaux
acteurs.
Il
est courant qu’une palabre soit présidée par un vieillard et non par le chef.
Pour trancher les litiges, le chef à des notables spécialisés dans la gestion
et la résolution des conflits et constituent « Eboé bot »
(commandement des hommes). Le premier conseiller est appelé
« Nkulmejo », chez les Bulu, le second conseiller (nkattefôe) annonce
l’arrivée du chef et ordonne le silence.
Les
parties en conflit sont présentées par les « faiseurs de paix » qui
les emmènent à s’expliquer. Il se trouve assis dans l’assemblée un patriarche
influent pour son intégrité, il porte chez les Bulu le nom de Kasso. D’une
grande discrétion, il ne prend pas part au débat et son regard est plutôt fixé dans les nuages, et son avis est
prépondérant au moment de la
délibération. La palabre n’a pas pour finalité d’établir les torts respectifs
des parties en conflit et de prononcer des sentences qui conduisent à l’exclusion
et au rejet, elle apparait comme une logo thérapie qui à pour but de briser le cercle infernal
de la violence et de la contre violence afin de rétablir la paix. Ainsi donc,
la problématique de la dissuasion, de la prévention et de la résolution des
conflits se traduit dans les sociétés traditionnelles africaines par l’adage
suivant formulé par les Baneng du Centre Cameroun : « éviter la guerre à tout prix, faire la guerre quand on n’a
pas pu l’éviter, mais toujours rétablir la paix après la guerre ».
2- UBUSHINGANTAHE[7]
L’institution
des Bashingantahe renferme des principes et mécanismes qui n’ont rien à envier
aux théories et méthodes moderne de règlement des conflits. Le concept
d’Ubushingantahe signifie une action de
témoignage, de médiation et d’arbitrage en vue de rétablir la véracité desfaits
et la justice conciliatrice. Les Bashingantahe sont des personnes ciblées
par la communauté pour servir des pôles référentiels et de protecteurs de
l’écologie des mœurs. Parmi les multiples fonctions d’Ubushingantahe, figure
celle de l’instruction, du règlement pacifique des conflits et de la
conciliation. Pour exercer la fonction d’Ubushingantahe, il faut au préalable
remplir les conditions ci-après :
§ La maturité humaine
§ Le sens de la vérité
§ L’intelligence lucide
§ Le sens de l’honneur et de la dignité
§ L’amour du travail et la capacité de subvenir à ses besoins
§ Le sens de la justice
§ Le sens de la responsabilité sociale
La
maturité d’une société s’évalue, non pas au nombre de tragédies qu’elle à
connue mais à la manière dont le peuple s’y prend pour les gérer et éviter
l’élimination physique des compatriotes et/ou des étrangers, la destruction des
infrastructures et de l’environnement[8].
Les Bashingantahe du Burundi procèdent de la manière suivante pour résoudre
leurs différends.
Etape 1 :l’écoute active
Ce
mode permet d’entendre les parties, de percevoir ce qu’elles ressentent, ils y
parviennent en laissant la personne parler sans interruption et ensuite, ils
cherchent à clarifier ce qu’elle a dit pour éviter toute confusion.
Etape 2 : le recours au
juron
Le
juron est une parole qui renferme l’engagement de la personne à payer de son
etre toute parole fausse. Ici, toutes les parties déclarent devoir révéler la
vérité. Cette prestation de serment permet aux notables de s’assurer de la
véracité des propos avancés par les parties.
Etape 3 : la recherche
des preuves
Les
notables procèdentpar un examen de l’expression physique de l’accusé (analyse
du regard, du timbre vocal, de la cohérence des propos). En cas de vol par
exemple, les Bashingantahe pas à
analyser les traces laissées par les pieds du présumé voleur. La découverte de
la vérité suffit pour qu’une décision soit prise. L’accusé peut payer en
espèces le prix de l’animal volé, mais c’est un prix à négocier puisque le
plaignant peut affirmer ne pas être d’accord avec l’imposition d’une somme
qu’il juge dérisoire par rapport au revenu que peut générer un animal vivant.
Lorsque de tels cas surviennent, les Bashingantahe s’interposent pour privilégier
l’arrangement à l’amiable pour ne pas se retrouver devant les tribunaux.
Lorsqu’un accord est trouvé, la communauté exige du coupable une cruche de vin
de banane à boire sur le champ pour cimenter la conciliation des parties. Le
procès se fait toujours en présence des témoins qui ont le droit de prendre la
parole pour charger ou décharger l’accusé.
Etape 4 : la
délibération
Après
l’obtention des preuves, les Bashingantahe se retirent pour délibérer en
retraçant les épisodes des plaintes déposées ainsi que les déclarations. La
délibération est faite par un collège de Bashingantahe de clans différents pour
garantir la transparence et l’impartialité. Les membres du collège sont tenus
de ne point révéler les noms de leurs collègues ayant milités en faveurs ou en
défaveur de l’une des parties.
BILIOGRAPHIE
·
BERCOVITCH,
Jacob& al : Regional guide to international conflict, pp 1à46
·
GALTUNG, Johan :
Transcendance et transformation des conflits: une introduction au métier de médiateur
(traduit par Célestin TAGOU) PUPA-AUPA 2010
·
MANIRAKIZA, Zénon : Modes
traditionnel de règlement des conflits : l’institution d’Ubushingantahe,
pp 39-58
·
TAGOU, Célestin : La
Dynamique des conflits, de la Paix et du Développement dans les sociétés
africaines, PUPA/AIPCD, 2010
[1]Galtung Johan: Transcendance et tranformation des conflits: une
introduction au métier de médiateur. Traduit par CélestinTagou, PUPA/AIPCD, Yaoundé 2010, p61
[2]Oberschall Anthony(1973), social conflicts and
social movements, Englewoods cliffs, New Jersey, prentice hall, p59
[3] Charly Gabriel Mbock : cité par Célestin Tagou
[4]Conflits qui ont le plus souvent
lieu entre membre d’une même civilisation ou entre peuple vivant dans des
situations de proxomité.
[5] Doyen de la Faculté des Sciences Sociales et des Relations
Internationales à l’Université Protestante d’Afrique Centrale, et chef du
département de Paix et Développement
[6]Sociopolitiquement, il s’agit du groupe Bulu/Beti au Cameroun
[7]Approche burundaise de résolution pacifique des conflits
Dans le dictionnaire Rundi-Français de
RODEGEM, le terme Umushingantahe est traduit en ces
mots : « magistrat, notable conseiller, arbitre, assesseur,
juge, celui qui est revêtu de l’autorité judiciaire et qui dispose de la
baguette (intahe), insigne de son autorité ». Pour l’Abbé Adrien NTABONA,
le Mushingantahe signifie « un homme responsable du bon ordre, de la
tranquillité, de la vérité et de la paix dans son milieu. Et cela, non pas en
vertu d’un pouvoir administrativement attribué, mais de par son être même, de
par sa qualité de vie, que la société voudrait reconnaitre à sa personne en lui
confèrent une investiture ».
[8] MANIRAKITA, Zenon, modes traditionnels de règlement des
conflits : l’institution d’Ubushingantahe, p8
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