Introduction
Par décret N° 2013/056 du 27 février
2013, le président de la république a convoqué le collège électoral devant
mettre sur pied le tout premier sénat de l’histoire du Cameroun ;
surprenant ainsi la quasi totalité de l’opinion publique[1]
alors même que toutes les attentions étaient tournées vers les élections
législatives et municipales prochaines. Cette matérialisation du senat qui
intervient 17 ans après sa création par la constitution[2]
est un fait majeur qui a suscité de nombreux remous dans les milieux politiques,
sociaux et médiatiques. Au regard du contexte de sa mise en œuvre, de
nombreuses voix se sont levées pour dénoncer ce que les uns (les partis de
l’opposition et certains annalistes politiques) ont qualifié d’illégitimité des
sénateurs conséquente à celle des grands électeurs[3]. A
l’opposé, le parti au pouvoir et ses alliés n’ont pas manqué de démontrer (sans
forcement convaincre le camp adverse) que ces grands électeurs étaient bel et
bien légitimes et par conséquent, les sénateurs élus par eux le sont aussi. Le deuxième
fait ayant obtenu l’adhésion de la quasi totalité de la population camerounaise
exceptées (à quelques différences près) les militants du RDPC[4] et
du SDF[5]
est l’alliance (qui reste à vérifier) entre ces deux forces politiques qui aurait
permis au SDF d’obtenir respectivement le soutien directe et indirect du RDPC
dans les régions de l’Ouest et de l’Adamaoua[6]. Cet
article ne cherche pas à questionner les jeux et les rejeux politiques ayant conditionnées
l’organisation des élections sénatoriales, mais plutôt les enjeux de l’avènement
d’un sénat au Cameroun. Quelles seront en effet, les implications de ce sénat
sur l’architecture politique nationale ? A-t-il des conséquences sur la
théorie triangulaire de la répartition régionale ou d’équilibre régional ?
Ce sont là des questions auxquelles nous sommes amenés à apporter des éléments
de réponse dans cet article.
1.
Les implications
institutionnelles
Bien que le rôle du sénat,
entant que chambre haute du parlement est de plus en plus remis en cause dans
un certain nombre de pays notamment le Sénégal et l’Angleterre, la mise sur
pied du sénat au Cameroun était attendue par toutes les forces politiques et
les partenaires internationaux ne fusse que pour rester conforme aux
dispositions de la constitution du 18 janvier 1996.
a.
Le conseil constitutionnel
En réalité, de nombreuses
institutions crées par la constitution suscitée n’ont pas encore été mises en
place. Parmi ces institutions se trouvent le conseil constitutionnel pourtant
capital dans la consolidation de la démocratie camerounaise et le renforcement
de l’Etat de droit. La principale raison empêchant la mise en œuvre dudit
conseil était que suivant les dispositions de l’Art. 51 (2) de la constitution
du Cameroun, trois des onze membres du conseil constitutionnel sont nommés par
le président de la république sur proposition du président du sénat après avis
du bureau de celui-ci. De ce fait, à l’absence du sénat, le conseil
constitutionnel ne pouvait se constituer bien que les autres organes chargés de
pourvoir au reste des membres du conseil étaient déjà fonctionnels. Il est donc
envisageable que la matérialisation du sénat va à court terme déboucher sur la création
du conseil constitutionnel et mettre ainsi fin au double rôle dévolu à la cours
suprême de siéger en qualité du conseil constitutionnel en temps de besoin.
b.
Le protocole d’Etat et
l’intérim du président de la république
La seconde implication au plan
institutionnel est la primauté de la chambre haute sur la chambre basse au
niveau du protocole d’Etat. Jusqu’ici, cette prérogative était celle de l’Assemblée
Nationale (AN). La session de plein droit qui donnera naissance au tout premier
président du Senat, sera aussi l’occasion pour les camerounais de connaitre
celui qui sera désormais la deuxième personnalité de la république. C’est à ce dernier qu’incombera la charge d’assurer l’intérim
en cas de vacance constatée du président de la république. Au regard de cet
enjeu somme toute important, il est possible de comprendre la rué des parlementaires
parmi lesquels Cavaye Yeguie, actuel
président de l’AN et des barons de la scène politique camerounaise (Nfru Ndi[7], Achidi
Achu[8],
etc.) vers le sénat (10% des sénateurs sont des anciens ministres). En réalité,
si la chambre basse garde une préséance sur la chambre haute en cas de désaccord
sur un projet de loi, son rôle reste tout de même insignifiant avec l’avènement
du sénat en ce qui concerne l’alternance à la tête de l’Etat. L’enjeu devient ainsi
très importants surtout si on tient compte du contexte camerounais marqué par
ce qu’on pourrait appeler une fin de règne du renouveau[9] ou
du biyaisme[10]
qui est de plus en plus vieillissant. Le président du sénat pourrait ainsi être
appelé à jouer un rôle majeur dans les changements politiques avenirs.
2.
Les implications sociologiques
L’avènement du sénat impose non
seulement un ajustement sociologique à la tête des grands pôles de
concentration du pouvoir au Cameroun, mais aussi la redéfinition de celui-ci.
a. Du triangulisme au starisme
La théorie jusqu’ici mise en
œuvre pour l’équilibre des forces et la répartition du pouvoir entre les
différents grands groupes sociologiques du Cameroun a été la théorie du
triangle/le triangulisme représentée par la présidence de la république, le
premier ministre et la présidence de l’AN. Fort de son caractère d’apaisement
des tensions sociales grâce à l’équilibre des forces autour de la répartition
des pouvoirs politiques et économiques, il n’est pas possible, bien que n’étant
pas prévue par la constitution, que des gens issues du même groupe sociologique
se retrouvent à la tête des ces institutions. Depuis plusieurs années, le
président de la république représente le groupe Pahouin (Fan-béti), le premier
ministre les camerounais d’expression anglaise[11]
communément appelés anglophones et la présidence de l’AN le grand nord. Les
groupes n’étant pas représentés par cette théorie du triangle sont récompensés
par des postes ministériels et autres postes stratégiques au sein des
institutions publiques et parapubliques.
L’élection du président du sénat
aura pour particularité de contraindre au remodelage de la théorie triangulaire
jusqu’ici mise en scène par l’axe Grand Nord-Zone Anglophone-Pahouin. Ce
remodelage va aboutir à court terme sur une figure à quatre pôles notamment le trapèze
du fait de l’inégale répartition des forces au sein de la figure. A moyen
terme, il faut entrevoir une théorie plutôt stariste (sous forme d’étoile) car
l’avènement du conseil constitutionnel va faire émerger un nouveau pôle. On
aura dont désormais droit aux pôles suivants : président(e) de la république
– président(e) du sénat – président(e) du conseil constitutionnel – président(e)
de l’AN – premier(e) ministre. L’émergence de cette théorie stariste a pour
avantage, l’ouverture du champ politique camerounais à de nouveaux groupes
sociologiques comme les Bassa, Douala et les Bamilékés-Bamoun et une plus grande
possibilité pour le président de la république de satisfaire aux exigences des
uns et des autres afin que tous se sentent intégrés dans la gestion des
affaires publiques.
b. De la progression de l’approche genre au sein des
institutions publiques
A l’annone de la tenue des
élections sénatoriales, les organisations de la société civile (OSC) notamment
Horizons Femmes et le REFEPHPCI (ont tenues à féliciter la persée de l’approche
genre dans les listes du RDPC) et More Women in Politics ont tenu à inviter les
partis politiques à respecter l’approche genre dans la composition du sénat.
Ont-elles donc été entendues ?
Une analyse des résultats des élections
des sénateurs et du décret No 2013/149 du 8 mai 2013 portant nomination de 30 sénateurs
pour porter le nombre final à 100, fait état de la présence de 20 femmes au sénat
(20%). Ce chiffre, bien que loin d’atteindre les exigences de organisations
internationales notamment les nations unies qui militent pour une parité
hommes-femmes dans les instances de prise de décision est une persée dans la politique
camerounaise au regard des autres institutions publiques. Selon une étude réalisée
par le MINPROFF[12]
en 2012[13],
les femmes sont sous représentées dans les institutions publiques :
Mairies (6,7%) et AN (13,9%). Cette légère progression au niveau du sénat
quoi que pas encore satisfaisante mérite d’être reconnue comme telle. En effet,
il est important pour le Cameroun de travailler sur cette approche genre non
pas pour se conformer aux normes internationales, mais pour se rapprocher des
réalités sociologiques du pays car plus de la moitie de la population est de
sexe féminin.
Conclusion
Au regard de ce qui précède,
il convient de dire que l’avènement du
sénat au Cameroun aura des implications sur le plan institutionnel et du
management sociologique. Même si pour la plupart des camerounais, la mise en
œuvre du Sénat n’aura pas de changement sur leurs trains quotidiens, il reste
que le rôle que cette chambre devra jouer dans le futur est important. Et à ce
titre, il faut saluer sa mise en œuvre. Reste aux occupants de l’auguste
chambre d’assumer la mission qui est désormais la leur sans parti pris. C’est
justement à ce tournant là qu’ils seront jugés car une chose est d’être
élu/nommé, mais une autre est d’assumer ses choix.
[1] Il faut dire que le calendrier
électoral du Cameroun est maitrisé par la seule personne du chef de l’Etat. Si
les textes précises la périodicité dans l’organisation des différentes
élections, ils restent mues qu’en au mois ou jour auquel ces élections seront
organisées.
[2] Loi no 96/6 du 18 janvier 1996 (modifiée
par la loi no 2008/001 du 14 avril 2008), Art 14(1)
[3] Au Cameroun, les sénateurs sont
élus au suffrage indirect (Art. 20 (2)) par les conseillers régionaux et à
l’absence de ces derniers, par les conseillers municipaux. Hors au moment où
les élections sénatoriales ont lieu, le mandat des conseillers municipaux a
expiré depuis 2012 et ils ne tiennent plus lieu de conseillers que par
prorogation
[4] Rassemblement Démocratique du Peuple
Camerounais, parti au pouvoir
[5] Social Democratic Front, 1er parti de
l’opposition depuis l’avènement du multipartisme en 1990
[6] Il est important de constater que le SDF
sera représenté au Senat avec 14 sénateurs, lesquels ont été élus dans les
régions où le SDF n’avait pas la majorité des électeurs et où le RDPC n’a pas
concouru et a donne pour consigne de voter la liste SDF parce que plus représentative
de la société camerounaise.
[7] Chef de l’opposition depuis 1992. En
dehors des présidentielles, il ne s’est jamais présenté à une élection au
Cameroun a part les sénatoriales du 14 avril 2013 où il a été malheureusement
battu par Achidi Achu à auteur de 56%
[8] Ancien premier ministre
[9] C’est une idéologie politique
propre au RDPC qui est née de l’accession au pouvoir de Paul Biya et qui marque la rupture avec le régime du président
Amadou Ahidjo
[10] C’est une philosophie politique dont se
revendiquent les partisans de Paul Biya
[11] Il faut noter qu’à la base, les
Anglophones ne constituent un groupe sociologique à part, mais compte tenu de
l’histoire politique du Cameroun, il convient de les considérer ainsi. Cette
prise en compte des anglophones comme groupe à part est d’avantage développer
par la théorie de la démocratie rotative mise en œuvre par Célestin TAGOU qui
distingue 7+1(le 1 représentant les anglophones) grands groupes au
Cameroun : Pahouin, Bamiléké, Fulbé ou les Haoussa, des Douala (ou
Sawa), Bassa, Bamoun, Kirdi, Anglophones
[12] Ministere de la promotion de la femme et
de la famille
[13] MINPROFF: femmes et homes au Cameroun en
2012: une analyse situationnelle de progrès en matière de genre, 2012
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